L’anguille d’Europe ou anguille commune (Anguilla anguilla) est une espèce de poissons longiforme qui mesure de 40 cm à 150 cm à l’âge adulte et pèse jusqu’à 4 kg

Cette espèce fait partie des grands migrateurs amphihalins (migrateurs dont le cycle de vie s’effectue alternativement en mer et en eau douce continentale), thalassotoques (qui se reproduisent en mer) et catadromes (qui descendent vers la mer pour se reproduire).

Son aire de répartition s’étend de l’Espagne à la Mer Noire et de l’Islande au Maroc. 

Cycle de vie

L’anguille d’Europe se reproduit d’une façon encore mystérieuse à grande profondeur dans la Mer des Sargasses (dans l’océan Atlantique Nord). Les œufs donnent naissance à des larves dites leptocéphales qui se nourrissent de plancton et entament une longue migration (1 à 2 ans) tout en se développant. Après un parcours passif, portées par le Gulf Stream, de plusieurs milliers de kilomètres, les larves arrivent au plateau continental des côtes européennes et nord africaines. Là, elles se métamorphosent en civelles  et arrivent sur les littoraux à l’automne où elles fréquentent  jusqu’au printemps plutôt les eaux côtières, estuaires, lagunes et marais saumâtres. Sur nos côtes, les civelles présentent un maximum d’abondance aux embouchures en janvier, février, mars.

A partir d’avril, les civelles remontent les fleuves (montaison) passant successivement les stades de civelle à petite anguille et anguille jaune (moins d’un an). Les anguilles jaunes se développent dans les fleuves rivières et milieux humides qu’elles colonisent pendant 3 à 20 ans.

Après cette longue période d’alimentation et de grossissement dans les systèmes fluviaux et annexes, les anguilles jaunes se transforment  en anguilles argentées et amorcent une descente vers les embouchures (dévalaison) et un retour en mer pour se reproduire en Mer des Sargasses. Cette dévalaison se déroule en toute période de l’année mais avec un pic en automne à l’occasion d’importants mouvements d’eau comme les crues.

Marché de la civelle (source PGA, 2008) 

La pêche française représente globalement 80% de la production totale européenne de civelle. L’Asie (Chine principalement) constitue le principal acheteur de civelles.

Le prix moyen de première vente de civelle (prix pêcheur) permettant le maintien d’une rentabilité économique de la pêcherie française est estimée par le secteur professionnel à 350€/Kg. Le prix de vente du mareyeur se situe alors aux alentours de 500€/kg.

Une espèce en danger critique d’extinction

Hier encore très répandue dans plupart des eaux douces d’Europe, l’anguille européenne connaît une régression rapide depuis les années 1970-1980. L’anguille est classée en « danger critique d’extinction » sur la liste rouge mondiale et française de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

Les raisons de ce déclin sont multiples (sans ordre d’importance) :

  • destruction, réduction ou dégradation d’habitats d’eaux côtières et de transition, tels qu’herbiers marins, estuaires ;

  • mise en place d’ouvrages à marée (buses estuariennes, portes à flot, écluses, vannes,…) qui peuvent restreindre ou empêcher l’accès des civelles aux eaux continentales ;

  • dégradation des milieux continentaux qui hébergeant l’espèce : 

  • « rectification », aménagement, busage et chenalisation des cours d’eau ; cloisonnement (seuils et barrages) des cours d’eau ; endiguement et suppression des connexions transversales qui peuvent supprimer l’accès aux ruisseaux, fossés, mares, lacs, étangs, et tous réservoirs biologiques potentiels ;

  • disparition de zones humides par comblement, drainage… ;

  • suppression des corridors et fragmentation des habitats ;

  • mortalité liée aux turbines de barrage hydroélectrique ou de pompes hydraulique ;

  • pollution chimique, notamment par les métaux lourds, les organochlorés (PCB, dioxines, …), pesticides agricoles, etc. qui se bio-accumulent ;

  • parasitisme, notamment par un nématode Anguilicola crassus ;

  • surpêche aggravée par une économie parallèle alimentée par le braconnage notamment des civelles, capturées aux engins lors de leur remontée dans les estuaires.

Une politique de préservation à l’échelle européenne*

Avant 2007, l’anguille n’a été que très tardivement protégée par la loi et uniquement dans quelques pays, en dépit des alertes réitérées de certains scientifiques. 

Elle n’a pas été inscrite pas à l’annexe II (Espèces animales et végétales d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation) de la Directive communautaire « Habitats – Faune – flore », alors que ses effectifs et habitats ne cessaient de se dégrader. 

En 2005, le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) relatif à l’anguille européenne indique que le stock ne se situe plus dans les limites biologiques raisonnables et que la pêche actuellement pratiquée n’est pas durable. Le CIEM recommande l’élaboration urgente d’un programme de reconstitution pour l’ensemble du stock d’anguilles européennes et préconise en outre que l’exploitation, ainsi que les autres activités humaines influant sur la pêche ou le stock d’anguilles européennes, soient réduites autant que possible.

Fort de cet avis et de bien d’autres éléments, le Conseil de l’Union Européenne arrête le « Règlement (CE) n° 1100/2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d’anguilles européennes »,  le 18 septembre 2007.

Ce règlement prescrit notamment l’établissement d’un plan de gestion de l’anguille qui comprend, de manière non limitative, les mesures suivantes: 

  • réduction de l’activité de pêche commerciale ;

  • limitation de la pêche récréative ;

  • mesures de repeuplement ; 

  • mesures structurelles visant à permettre le franchissement des rivières et à améliorer les habitats dans les cours d’eau, conjointement avec d’autres mesures de protection de l’environnement ; 

  • transport des anguilles argentées des eaux intérieures vers des eaux d’où elles puissent migrer librement vers la mer des Sargasses ; 

  • lutte contre les prédateurs ; 

  • arrêt temporaire des turbines des centrales hydroélectriques ; 

  • mesures en faveur de l’aquaculture.

 

En France, le premier plan de gestion de l’anguille, dont l’élaboration a été pilotée par les ministères en charge des pêches maritimes et de l’écologie est adressé  le 17 décembre 2008. Il est approuvé par la commission européenne le 15 février 2010.

Il se compose d’un volet national et de neuf volets locaux, soit un par unité de gestion de l’anguille.

L’approche défendue par le plan de gestion de la France est d’agir à court et moyen terme sur les principaux facteurs anthropiques de mortalité et de dérangement de l’anguille que sont (liste non hiérarchisée) la pêche, le turbinage, le braconnage, les pollutions (eau, sédiments) et les pertes d’habitat (barrages à la colonisation et à la migration, disparition des zones humides), à des niveaux suffisamment ambitieux mais progressifs, de façon à stopper l’effondrement du stock, en espérant que le stock sera dans des conditions plus favorables à moyen terme pour se reconstituer.

Par ailleurs pour l’application du règlement (CE) 1100/2007, un décret (décret n° 2010-110 du 22 septembre 2010) fixe  les règles relatives à la gestion et à la pêche de l’anguille. Ses dispositions sont maintenant codifiées :

  • Pour ce qui concerne la pêche de l’anguille en amont des limites transversales de la mer (LTM) : dans le code de l’environnement (section 3 du chapitre VI du livre IV relatif à la gestion et à la pêche des poissons appartenant aux espèces vivant alternativement dans les eaux douces et dans les eaux salées) ;

  • Pour ce qui concerne la pêche de l’anguille en aval des limites transversales de la mer : dans le code rural et de la pêche maritime (notamment section 6 du chapitre II du titre II du livre IX, articles D922-45 à D922-53).

ZOOM sur les ZAP et ouvrages

La stratégie nationale d’actions sur les ouvrages faisant obstacle aux mouvements migratoires de l’anguille, tant à la montaison qu’à la dévalaison s’appuie sur la définition de ZAP, zones d’action prioritaires pour l’anguille (cf. carte). Ces ZAP sont les axes les plus importants et leurs affluents où les actions de gestion doivent en priorité être exercées au cours des six premières années du premier plan de gestion (2010-2015) pour avoir une influence significative sur la population d’anguilles.

Deux niveaux sont introduits dans la zone d’action prioritaire afin de prioriser les actions de l’Etat sur les ouvrages :

  • Tronçons d’action de priorité 1 : les cours d’eau prioritaires et leurs affluents qui doivent faire l’objet d’une programmation de travaux. Les ouvrages devront être traités d’ici 2015 pour devenir franchissables à la montaison comme à la dévalaison, conformément à la réglementation en vigueur ;


  • Tronçons d’action de priorité 2 : les cours d’eau prioritaires et leurs affluents sur lesquels l’anguille est fortement présente, ne faisant pas l’objet d’actions programmées, mais sur lesquels des actions devront être menées en fonction des opportunités.

Le Plan de Gestion Anguille prévoit le rétablissement du franchissement sur 1555 ouvrages prioritaires identifiés au sein de la ZAP anguille.

Ainsi, dans les ZAP 1, l’ensemble des ouvrages identifiés, à jour de leurs obligations réglementaires, devait être mis aux normes (suppression, arasement, équipement et/ou définition de modalités de gestion) de manière effective et conformément à la réglementation en vigueur dans les cinq ans à venir, c’est-à-dire pour 2015. 

La Normandie tient une place particulière dans cette mesure puisqu’elle est la région la plus concernée avec 422 ouvrages, soit plus du quart de l’objectif national.

11 - Secteurs d'actions prioritaires_Normandie

Bilan du plan de gestion français 2010-2015

En application du règlement européen, des rapports de mise en œuvre ont été transmis par la France à la Commission européenne les 29 juin 2012, le 30 juin 2015 et le 30 juin 2018. Le prochain rapportage est prévu en 2021.

Le dernier rapport de mise en œuvre (juin 2018) révèle que le rétablissement de la continuité écologique n’est assuré que pour seulement 28% des ouvrages normands.

Sur un plan plus général, on note dans les conclusions de ce rapport :

Concernant la détermination de la biomasse d’anguilles argentées s’échappant vers la mer « l’ensemble des UGA resterait en zone rouge, mais s’approcherait de la zone orange (stock insuffisant mais en augmentation) ».

 

Diminution de la mortalité par la pêche : « Les mesures de gestion ont permis d’aboutir à une réduction significative de l’effort de pêche. » Toutefois, « l’amélioration de la donnée est indispensable pour permettre une estimation de la diminution de la mortalité par pêche sur les stades anguille jaune et argentée. »

 

Obstacles à la continuité écologique : « L’avancement de la franchissabilité des ouvrages à la montaison des anguilles se poursuit même si la progression est lente. »

« Concernant les aménagements pour la dévalaison des anguilles argentées, le déploiement des connaissances acquises dans le cadre du programme de R&D ont permis d’aller dans le sens de la réduction de la mortalité liée à des facteurs extérieurs à la pêche même si les actions sur ce volet restent encore à poursuivre. »


Repeuplement : « Depuis le dernier rapportage de 2015, les captures de civelles dédiées au repeuplement sur le territoire européen ont augmenté en valeur et en pourcentage des captures totales. […] À la lumière de l’expérience accumulée, des suivis des opérations de repeuplement et des résultats des études scientifiques, des améliorations continueront d’être apportées au programme de repeuplement. »


Et dans la conclusion générale : « L’évaluation de la biomasse d’anguilles argentées quittant le territoire national pour se reproduire (actuelle et pristine) ainsi que de la réduction de la mortalité de l’anguille sur ses stades d’anguille jaune et argentée posent des difficultés. Si des réseaux de suivis ont été mis en œuvre et des modèles ont été développés, il reste délicat de conclure sur ces points. »

Bref, sans parler d’inefficacité, on ne peut pas dire que ce soit brillant


Quelles demandes le CREPAN pourrait-il formuler auprès des services de l’Etat ? (sans ordre de priorité)

Demander à devenir membre, sinon à être associé aux réunions du comité de gestion des poissons migrateurs (COGEPOMI) Seine-Normandie, instance de concertation sur l’exploitation et le devenir d’espèces comme le saumon, la truite de mer, les aloses, les lamproies et l’anguille et instance qui élabore les plans de gestion pluriannuels des poissons migrateurs (PLAGEPOMI) au niveau du bassin.

Demander à être associé aux consultations sur les arrêtés annuels de pêche.

Demander, pour la civelle, le classement en réserve de pêche ou l’interdiction de pêche dans nos estuaires normands (entre limite transversale de la mer et limite de salure des eaux).

Demander que le FEAMP finance la sortie de flotte des derniers bateaux civelliers.

Demander un point précis sur la conformité des 422 ouvrages « Anguille » de la région, les raisons du retard de chaque ouvrage non mis en conformité depuis 2015, et les dispositions prises par l’Etat pour revenir à la légalité.

Demander la mise en conformité urgente par rapport à la réglementation « migrateurs » de tous les barrages le plus en aval des fleuves (y compris nos tout petits fleuves normands) ou ouvrages à la mer (buses estuariennes, portes à flot, écluses, vannes), premiers verrous bloquant la colonisation des bassins.** 

Demander la suppression sans délai des microcentrales non autorisées et la mise en conformité de celles autorisées qui ne sont pas aux normes.

Demander l’inscription dans le prochain SDAGE les réservoirs biologiques qui n’y figurent pas encore.

Demander d’utiliser la procédure de classement en « zones de conservation halieutiques » (article L. 914-6 du code rural et de la pêche maritime) : Ce classement porte sur « un espace maritime et, le cas échéant, fluvial pouvant s’étendre jusqu’à la limite des eaux territoriales, qui présente un intérêt particulier pour la reproduction, la croissance jusqu’à maturité ou l’alimentation d’une ressource halieutique et dont il convient de préserver ou restaurer les fonctionnalités afin d’améliorer l’état de conservation des ressources concernées. »

Demander d’inscrire l’Anguille sur la liste des espèces figurant à l’annexe l’annexe II (Espèces animales et végétales d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation) de la Directive communautaire « Habitats – Faune – flore » n°92/43.


 *L’Anguille européenne a aussi été classée en 2008 en Annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES, 1973).

**Cette prescription concerne particulièrement des ouvrages sur le domaine public où il est invraisemblable que des services et collectivités publiques demeurent en illégalité.


François Roland

Bénévole au CREPAN

 

 

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