Réflexions Claudine Joly, présidente CREPAN

Il faudrait être idiot pour être contre l’agriculture, tout le monde mange, nous devons donc assurer la fourniture alimentaire de notre pays, notre fameuse « souveraineté alimentaire ». Existe-t-elle réellement actuellement ? Nous importons beaucoup de produits que nous ne sommes pas capables de cultiver localement pour des raisons climatiques : beaucoup de fruits, oléagineux, protéagineux, café, chocolat,…, d’autres pour des raisons économiques, notre SMIC est un des plus élevés du monde et même d’Europe donc  forcément sur un marché ouvert concurrentiel cela gêne la commercialisation, les règles environnementales ne sont pas les mêmes partout : nous importons massivement du soja OGM pour notre élevage (plusieurs millions de tonnes par an), de l’huile de palme pour l’IAA et même pour faire des « biocarburants »… En principe les règles pesticides sont les mêmes par grandes zones européennes (sauf dérogations que nous demandons aussi largement cf NNi pour les betteraves …).  Nous exportons du vin (nous ne pourrions pas tout boire et belle valeur ajoutée), nous exportons surtout beaucoup de céréales (ex blé, données  AGRITEL utilisation France récolte 2023 14,5 Mt et export 17 Mt, plus de 50 % va à l’export !) au tarif du marché international très variable mais à assez faible valeur ajoutée d’où le besoin de surfaces importantes pour les fermes céréalières, nous utilisons même 1 million d’hectares  (4% de la SAU totale 26,7 Millions d’hectares) pour produire des « biocarburants » dont l’inefficacité climatique n’est plus à démontrer !

Ces chiffres indiquent que nous avons de la marge, de la surface  pour assurer notre « souveraineté alimentaire ». Pourquoi de nombreux agriculteurs « n’y arrivent pas » ? Car la plupart des productions sont sur un marché concurrentiel international, que nous importons massivement des produits que nous produirions trop cher pour être commercialisés localement (cf cornichons, tomates, fraises,…) par rapport à la production de pays qui ne regardent ni les aspects sociaux ni la ressource en eau, ni la santé des personnes. Il faut d’ailleurs déjà pour maintenir l’agriculture majoritaire (céréales et élevage) la soutenir fortement économiquement, c’est le rôle de la PAC avec près de 10 Milliards par an, sans PAC, la concurrence commerciale étant si forte, pratiquement plus de production de lait, viande, céréales chez nous c’est-à-dire plus d’agriculture sur la majorité des surfaces, plus d’ «entretien des paysages » (il y aurait beaucoup à dire sur le sujet …).  Il faut donc continuer à soutenir notre agriculture, faut-il la subventionner davantage ? Lui permettre tout et n’importe quoi en matière de pesticides, d’usage de l’eau, de mise en  cultures de toutes les surfaces ? On touche là aux problématiques environnementales mais aussi sanitaires. Le retrait des molécules de pesticides par l’UE n’est pas dû à une trop grande rigueur des évaluations mais à une prise de conscience au travers de nouvelles publications des problèmes majeurs liés à ces molécules, comme pour  l’amiante ou la chlordécone, à un moment les responsables des autorisations ne peuvent plus dire « on ne savait pas » alors demander leur réautorisation est simplement irresponsable même si la production est plus compliquée en pratique sans ces produits, même si on n’a pas de solution simple immédiate. Hors vision à très court terme, la santé de tous, la préservation de la biodiversité (6ème extinction en cours) ne doivent-ils pas rester prioritaires ? Non l’agriculture ne passe pas au dessus de tout.

Les agriculteurs ne tiennent pas économiquement face au modèle commercial international même avec la PAC, ils tiennent encore moins avec l’augmentation du prix des intrants liée au prix de l’énergie, nous ne voulons pas de ce modèle du fait de ses conséquences sanitaires et environnementales, il faut donc complètement changer le modèle, repenser le modèle pour assurer effectivement notre « souveraineté alimentaire » sans polluer, sans détruire la biodiversité et les paysages. Il faut donc un grand plan de production avec toujours moins de pesticides (aller vers le 0 phytos rapidement), zéro soja OGM, zéro huile de palme. Si cette réflexion est faite au niveau européen, c’est encore mieux, il y avait une tentative avec la démarche Farm-to-Fork, elle vient d’être reportée aux calendes grecques sous le poids des syndicats agricoles dominants, nous le regrettons profondément.

 Cette agriculture existe déjà un peu en France : élevage à l’herbe, agriculture biologique en particulier (10 % des surfaces actuellement), est-il possible de la généraliser ? En produisant moins mais mieux, allons-nous vraiment vers la terrifiante décroissance ? Le consommateur devra payer plus cher le produit, le consommateur devra aller chercher des circuits courts près de chez lui pour payer moins, faudra-t-il aider davantage certains consommateurs ? Pourquoi pas si cela évite de payer la sécu pour des maladies à support environnemental et particulièrement pesticides (cf rapports INSERM), si cela permet de ne plus avoir à dépolluer l’eau (plusieurs milliards /an sans tout nettoyer loin de là), l’air (on ne sait pas faire, il y a des pesticides partout et nous sommes totalement incapables d’évaluer le risque que cela représente !), les sols (idem), si cela évite aussi de détruire nos paysages et permet de préserver notre patrimoine naturel et touristique (très fort secteur économique, % PIB supérieur à l’agriculture), de préserver (voire restaurer, cela est nécessaire maintenant) la biodiversité indispensable à notre bien être et à notre existence même à terme.

Nous sommes toujours dans le face à face rentabilité court terme (et élections court terme) et vision responsable à long terme, dommage, nos enfants paieront la note ! De toute façon, ce ne sont pas les très faibles contraintes environnementales actuelles qui ruinent les agriculteurs lancés sur le marché concurrentiel international, ce n’est pas en empêchant l’OFB d’intervenir qu’on les sauvera non plus, on l’a déjà fait aussi (cf arrêté pollinisateurs avec consigne de non application), ce n’est pas en permettant de valoriser 4 % de la SAU en plus que cela changera vraiment le résultat économique des exploitations,  voulons nous vraiment pour modèle le Brésil ou les USA ? Nous n’avons de toute façon pas les surfaces pour concurrencer les poids lourds de l’agriculture intensive même en continuant à détruire nos haies (plus de 20 000 kms par an encore arrachées ces dernières années), en polluant notre environnement et en usant nos sols  alors stop !

Il faut une profonde réflexion, revenir à de grandes ambitions de transition (révolution ?) écologique en accompagnant les agriculteurs mais il faut aussi qu’ils acceptent de bouger et ne fassent pas systématiquement barrage aux outils proposés (cf plan Ecophyto avec plusieurs milliards investis sans résultat) sous la pulsion des grands commerciaux de l’agriculture (firmes, distributeurs, collecteurs et syndicats liés …). Attention, ce système économique manipule les agriculteurs qui continuent tête baissée dans ce sens ! Ne nous demandez pas de vous suivre dans ce système de production qui aboutit à un désastre social, économique et environnemental.

D’accord cependant avec vous pour dénoncer et refuser absolument les importations de produits qui ne respectent pas nos normes environnementales mais aussi sociales (cela va être compliqué !….). Merci aux agriculteurs qui sont déjà sortis du système et aux consommateurs qui bougent aussi !

Sur le même sujet, vous pouvez consulter l’article de la LPO:

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