Photographie de la Dives, Julien Benoist, 2017

En date du 20 octobre 2020, la contribution suivante a été envoyée au commissaire enquêteur en réponse à l’enquête publique.

A Caen, le 20 octobre 2020

OBJET : Enquête publique – Projet de Plan de Prévention des Risques Littoraux sur l’Estuaire de la Dives


Monsieur le Commissaire enquêteur,

Le Comité Régional d’Etude pour la Protection et l’Aménagement de la Nature (CREPAN) est une association Loi 1901 qui agit depuis plus de cinquante ans en faveur de la préservation de l’environnement. Parmi nos nombreuses actions, depuis 2011, nous avons en charge, avec le soutien de l’Agence de l’Eau Seine Normandie, l’animation territoriale des Marais de la Dives. Nous accompagnons les acteurs locaux (élus, agriculteurs, autres structures, etc.) dans la gestion territoriale, la préservation de la nature et plus particulièrement des milieux humides du territoire. Le projet de Plan de Prévention des Risques Littoraux concerne les communes de Varaville, Cabourg, Dives-sur-Mer et Périers-en-Auge ; quatre communes qui font partie de notre secteur d’intervention.

L’élaboration du projet de Plan de Prévention des Risques Littoraux a été longue et compliquée, la procédure respectée, le dossier final est complet et les documents sont bien présentés. Cependant, sur le fond du dossier soumis à l’enquête, nous formulons des remarques importantes car le projet de Plan de Prévention des Risques du Littoral ne semble pas garantir une réelle prise en compte des risques et assurer ainsi une prévention et une gestion efficientes.


1 – Les scénarios de référence sont obsolètes.

 

Nous avons conscience que l’élaboration d’un Plan de Prévention des Risques Littoraux est un processus long et que celui de l’Estuaire de la Dives a rencontré des imprévus. Cependant, face à l’importance de la prise en compte des enjeux littoraux, les études sur les risques marins sont de plus en plus nombreuses et nous regrettons que les données utilisées dans le cadre de ce PPRL datent des années 2010 à 2015. Le projet n’a donc pas pris en compte les derniers éléments connus et la situation évolue plus rapidement que prévu. Nous pouvons donc nous interroger sur la pertinence de l’évaluation des différents risques.

Ce manque d’actualisation des données est d’autant plus grave qu’il impacte les scénarios de référence qui sont la base du PPRL. En effet, l’établissement des scénarios de référence utilisés dans le cadre de ce PPRL de l’Estuaire de la Dives est basé sur un scénario optimiste du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) qui date de 2013. Le scénario à échéance 100 ans du PPRL prévoit une élévation du niveau marin de 60 cm alors que dans le rapport spécial du GIEC sur les océans et la cryosphère, paru en 2019, l’élévation du niveau marin tendrait désormais vers 98 cm. La Région Normandie le stipule d’ailleurs dans son avis. Le PPRL de l’Estuaire de la Dives s’inspire également du Guide méthodologique de l’Etat pour l’élaboration des PPRL (2014) qui stipule que « la détermination des aléas à l’horizon 100 ans se base sur les prévisions du GIEC, reprises par l’ONERC (Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique). Cette notion sera donc évolutive en fonction de l’avancée des travaux scientifiques en la matière afin de retenir les dernières données disponibles arrêtées par le ministère ».

De plus, certaines études récentes prévoient une élévation du niveau marin plus importante que celle du GIEC 2019. Selon le rapport d’étude d’AllEnvi « La montée du niveau de la mer : conséquences et anticipations d’ici 2100, l’éclairage et la prospective » de 2019, l’hypothèse de 2 m devrait être étudiée.

Ainsi, le projet n’a pas pris en compte les derniers éléments scientifiques connus, et par conséquent les scénarios de référence sont obsolètes ce qui impacte la totalité du PPRL.


2 – Absence de prise en compte du cumul des risques


Dans un contexte de changement climatique, la prise en compte de l’ensemble des risques ainsi que leur cumul est indispensable. Sur le secteur du PPRL de l’Estuaire de la Dives, la submersion marine et l’évolution du trait de côte ne sont pas les seuls risques. A aucun moment dans le dossier de présentation, la zone de marais arrière littoral est citée alors qu’elle est présente sur chacune des communes et représente un risque non négligeable et déjà d’actualité. En période de crue et de grande marée, les zones urbanisées sont soumises au Nord aux risques littoraux et au Sud aux risques d’inondations, aux remontées de nappe, etc. L’avis de la Région va également dans ce sens. Nous aurions aimé que le document expose les visions et les engagements des collectivités concernées (compétences GEMAPI) notamment parce que la survenance d’événements hydrologiques impactant le territoire par l’amont semble probable. Cela permettrait d’imaginer les conséquences de la simultanéité d’aléas de submersion marine et d’inondation sur le territoire concerné.

Quant aux risques auxquels sont soumis les endiguements face aux apports fluviaux, ils sont cités de manière succincte et leur étude n’est pas assez approfondie. En effet, dans la prise en compte de la formation de brèches, les hypothèses, également retenues pour le scénario à échéance 100 ans, sont 2 brèches de 100 m sur la rive droite de la Dives et 3 brèches de 100m sur la rive gauche. Ces chiffres sont en-dessous de la réalité actuelle. En 2020, le Syndicat Mixte du Bassin de la Dives a recensé 22 points de surverses ou de brèches. Il serait intéressant de prendre contact avec cette structure ou les élus en charge de la compétence GEMAPI pour actualiser les données et par conséquent, les hypothèses permettant d’établir les scénarios.

Photos prises par le Syndicat Mixte du Bassin de la Dives sur Varaville, début 2020

Les risques liés à la zone de marais ne sont pas évoqués et les risques liés aux apports fluviaux sont sous-évalués. Il est indispensable d’étudier les interactions entre les différents risques et pas seulement littoraux pour élaborer ce PPRL sur l’Estuaire de la Dives.

 

3 – Remarques sur le règlement

 

  • Incompréhension de la cartographie du zonage réglementaire

Le zonage réglementaire semble avoir été fait sur la cartographie des aléas de submersion du scénario de référence +20 cm et non +60 cm mais la méthodologie employée n’est pas décrite.

 

  • Prise en compte de la délimitation de la zone humide

Le règlement de chaque zone ne fait pas mention de la réglementation liée à la présence de zone humide. Une mise en cohérence avec la législation déjà existante sur le territoire semble nécessaire.

 

  • Zonage rouge

L’inconstructibilité en zone rouge est indispensable. Le scénario choisi pour définir les zonages est très optimiste et est peu réaliste au vu de la situation actuelle. Nous nous devons, tout de même, de rappeler le caractère inéluctable de la relocalisation de la population en dehors de ces zones et de ne pas favoriser un développement au sein de cette zone (encourager l’implantation de nouveaux édifices, améliorer l’existant, etc.). De manière générale, la réglementation favorise encore trop les extensions, au lieu d’appliquer le principe de précaution. De plus, nous pouvons retrouver plusieurs contradictions entre les différentes parties qui devraient être clarifiées pour éviter toutes dérives.

 

Voici des incohérences concernant la réglementation de cette zone :

– Dans la partie sur les travaux sur biens existants, les changements de destination et de sous-destination admis sous conditions ne sont pas assez restrictifs.

– La création d’espace de fonction pour les activités agricoles et forestières n’est pas justifiée car actuellement ces espaces sont, pour la majorité, des bâtiments anciens, parsemés et à l’abandon.

– Les activités exigeant la proximité immédiate de l’eau ne sont pas soumises à la même réglementation que les autres activités car « les réparations et les reconstructions de bâtiments, quelle que soit l’origine du sinistre » sont admis sous conditions.

– Des aménagements ou équipements nouveaux sont admis sous conditions pour les établissements d’hôtellerie de plein air alors qu’ils sont situés dans la zone rouge.

– Des formulations dans la partie « ouvrages, installations et aménagements divers » (p.18) sont trop généralistes et permettent des dérives notamment sur les travaux, ouvrages et aménagements liés à l’activité agricole et conchylicoles.

 

  • Zonage bleu

Dans les zones déjà exposées (celles où il existe un aléa pour le scénario de référence), a fortiori les zones déjà urbanisées, que ce soit en B1 ou B2, il n’est pas souhaitable d’autoriser des extensions ou des implantations nouvelles ; ce serait accepter de développer, dans les zones concernées, le nombre ou le volume des constructions ou implantations exposées alors que les aléas sont d’ores et déjà faibles ou moyens (B1 et B2 partie) ou certains à terme (B2 partie). Comme cela a déjà indiqué pour les zones rouges, il importe que la rédaction du règlement fasse bien ressortir le caractère inéluctable à terme du retrait des zones soumises à aléa.

Par ailleurs, les dispositions constructives permettent :

  • De densifier encore l’espace dans les zones, ce qui n’est pas souhaitable pour les raisons indiquées ci-dessus,
  • D’édifier des dispositifs de protection, ce qui accrédite l’idée que la démarche de protection est encore une solution raisonnable et permet de pérenniser l’occupation du sol.

On notera en outre que la notion « d’exception » à des interdictions sans définition de la nature de ces exceptions, n’est pas correcte juridiquement et ne saurait donc figurer dans le règlement.

 

  • Zonages orange

Il n’est pas raisonnable d’autoriser des extensions en dur dans les zones déjà exposées (aléa faible ou moyen).

 

Globalement, le projet de règlement ne pousse pas à l’abandon rapide d’espaces irrémédiablement soumis à la submersion et laisse trop de place aux mesures qui semblent donner du temps quitte à investir encore sur place dans la protection. A fortiori, les investissements de confort ou d’amélioration n’ont pas leur place dans les endroits exposés.

Nous pensons qu’il est du devoir des autorités publiques de ne pas autoriser d’investissement inconsidéré mais de faire en sorte que le processus d’abandon-relocalisation des modes d’occupation du sol s’enclenche le plus rapidement possible selon leur nature et le risque.

 

4 – Lien avec les autres démarches en cours

 

Au cours de la note de présentation du projet de PPRL, il n’y a aucune référence ou mise en perspective avec les autres démarches en cours sur le territoire. En voici quelques exemples : le GIEC Normand, le SRADDET, la stratégie foncière du Conservatoire du Littoral, le ROL Normand, « Notre littoral pour demain » ou encore l’étude du Syndicat Mixte du Bassin de la Dives sur la dynamique fluviale de la Dives. Nous n’entrevoyons aucune prise en compte de ces démarches, or elles apportent toutes des données récentes qui devraient être intégrées dans le PPRL. Il nous semblerait nécessaire que les diagnostics aient associé les collectivités compétentes pour la GEMAPI et responsables des ouvrages d’endiguement mais nous n’en trouvons pas trace.

 

En conclusion, au vu notamment du caractère obsolète du scénario de référence (et ipso facto des zonages en découlant) et du caractère insuffisamment contraignant du règlement au regard de la nature des aléas compris dans les zones, le CREPAN émet un avis défavorable sur le projet de PPRL de l’Estuaire de la Dives.

 

Il estime indispensable que ce projet de Plan de Prévention des Risques Littoraux (PPRL) soit repris immédiatement en profondeur[1].

 

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Commissaire enquêteur, l’expression de nos salutations distinguées.

 

[1] En effet, un PPRL est un document de planification sur une longue période et il ne peut évoluer sous forme de révision (c.à.d. autre que simple modification portant sur un changement minime ne remettant pas en cause les orientations fondamentales du document) sans que des études ne soient reprises dans leur ensemble.

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